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Dans les vastes espaces qui séparent le ciel de la terre, j'ai parcouru de grandes étendues. J'ai couru sur des terrains détrempés, portée par le vent plus vite que mes jambes ne pouvaient le supporter, et j'ai poussé des cris de joie à pleins poumons. J'ai ressenti l'exaltation d'atteindre le sommet d'un pic rocheux et de m'enfoncer dans le gazon moelleux. Un cercle d'herbes douces soufflait autour de mon visage.

Je me sentais protégée par les vieux arbres penchés qui poussaient de côté sur la lande, dans le vent infatigable. Je passais des heures dans leurs branches accueillantes, ma joue bercée contre l'écorce rugueuse, écoutant les océans résonner dans les feuilles. Je me cachais dans les cœurs creux des buissons d'ajoncs tordus, au milieu des draperies humides de lichen et je m'abritais dans les crevasses sombres des rochers de granit impitoyables, où l'odeur des crottes de mouton se mêlait à l'odeur de la laine et de la cire. 

Soudain, une brume s'étendait sur la terre comme une couverture, étouffant les sons, engourdissant mon sens de l'orientation et me mouillant plus que la pluie. Je craignais les taches de rouille sur le flanc des collines, ou l'herbe verte, trop verte pour être vraie qui cachait une tourbière frémissante et affamée. Je craignais surtout l'obscurité morte des plantations de pins qui suintaient comme de l'encre sur la terre : des forêts dans lesquelles ni le soleil, ni le vent, ni les oiseaux n'osaient pénétrer. 

Je me suis égratigné les bras sur des rochers, je me suis tordu la cheville sur des touffes d'herbe, j'ai arraché des brindilles de mes cheveux et me suis coupé les doigts sur des tiges de fougère. J'ai enfoncé mes mains dans le gazon et la mousse douce qui poussent dans un sol sombre et graveleux, et j'étais chez moi. J'ai appris à retourner à l'aveugle à la ferme, en suivant les contours du terrain, les sentes sinueuses empruntées par les moutons et la forme des buissons d'ajoncs émergeant de la brume, chacun représentant une lettre différente dans la langue secrète qui indiquait le chemin à suivre.

J'ai quitté Bodmin Moor lorsque j'ai quitté la maison, et je n'y suis pas retournée. Mais ses vents violents ont soufflé des brumes persistantes sur ma peau, et son sol sombre s'est infiltré dans mon sang. Bien des kilomètres et des paysages plus tard, la lande demeure un espace au plus profond de moi : une bouffée de vie, une sauvagerie intransigeante et une paix. Elle est ma détermination, mon honnêteté, ma solitude. Elle est ma référence pour l'obscurité la plus profonde et ma conscience de la lumière la plus vive.

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